Sr Marie de l’Incarnation nous a quittés le lendemain de Noël 2018. Figure marquante de la communauté et de l’Institution, elle achève ici-bas son périple ; en voici une évocation.

Sr S. Pierre

Mot d’accueil pour les obsèques de Sr Marie de l’Incarnation

29/12/2018

Sr Marie de l’Incarnation était née à Masny, dans le Nord, le 5 mars 1922. Première enfant d’une famille aimante, solide, chrétienne, aux fortes racines auvergnates mais aussi provençales du côté de sa mère, la petite Suzanne arrivait dans le foyer du jeune ingénieur des Mines qu’était son père. Son statut d’aînée de la fratrie restera marquant ; consciente, d’après les souvenirs familiaux, de son rôle d’aînée, elle était raisonnable et souhaitait, en les exhortant ou en les reprenant gentiment, sans que la démarche soit toujours couronnée de succès, que ses cadets le fûssent autant qu’elle ; elle était sérieuse, responsable, peut-être plus que la moyenne ; elle aimait l’étude et y excellait. Quatre frères et sœurs viendront après elle : Mimi, Henri, l’un et l’autre décédés ; Made, Sr Madeleine du Christ, et le « petit » Bernard, qui nous a quittés cet été ; sans oublier Suzanne la petite cousine qui s’adjoignait à la fratrie sous la houlette tendre et ferme des parents, Jean et Françoise.

Des souvenirs égrenés en communauté – Sr Marie de l’Incarnation les évoquait avec un pittoresque fait de pudeur et d’humour – on ne pouvait que retenir une famille aimante, soucieuse de chacun, éducatrice, où la fermeté et la bonté foncière formaient un bel équilibre, propre à façonner des personnalités construites et équilibrées. L’Espagne, Brioude, Messeix, Clermont, ont été, en lien avec les affectations professionnelles de M. de Lachapelle, des destinations successives de la famille ; et, bien sûr, Saint-Étienne sur Usson, la maison des vacances et des villégiatures, proche du Livradois de Pourrat et de Gaspard des Montagnes, mais aussi de la Mère Micolon que Sr Marie de l’Incarnation – Suzette, « tante Suzette » pour les siens – évoquait comme si elle venait de les quitter ; elle faisait de même pour les personnages de la Bible, qu’elle traitait en familiers. Partout des liens s’étaient tissés avec les collègues de travail, les mineurs, les voisins : l’éducation proscrivait d’être fier ou hautain. « Noblesse oblige », disait souvent Mme de Lachapelle à la fin de sa vie ; cette proximité qui ne se fait pas remarquer, qui refuse toute condescendance, était la manière de répondre à cette obligation.

Sans doute les parents avaient-ils offert à leurs enfants, en même temps qu’une solide éducation humaine et chrétienne, l’insouciance des premières années. Il n’empêche que Suzette restait marquée par le départ en urgence de Bouligny, dans la Meuse, pour cause de guerre imminente ; comme Abraham ou comme des apôtres, les parents étaient partis en laissant tout, s’étaient repliés sur St Étienne sur Usson et avaient dû peu à peu refaire leur patrimoine, ce qui en temps de guerre donc de restrictions et avec des enfants en bas âge, n’était pas une sinécure. Suzette savait ce que pouvait signifier l’exhortation « quitte ton pays ».

Après ses études – à l’école mais aussi à domicile, puis à l’université dont elle avait apprécié les professeurs de la Faculté de Strasbourg, repliés à Clermont -, dûment formée en Lettres Classiques et parlant couramment l’espagnol, Suzette avait frappé à la porte des ursulines. Le noviciat était alors, pour cause de guerre, replié à Billom, chez les sœurs de la Miséricorde. Elle s’était donnée à Dieu avec le sens de l’absolu qui la caractérisait, et dans le but de le servir. Ce qu’elle fit à Saint-Alyre tout au long de sa vie d’ursuline. Enseignante, puis directrice à la suite de Mère Marie de Saint-Paul – figure tutélaire s’il en est, Sr Marie de l’Incarnation se dépensa sans compter dans toutes ces tâches – ces missions – et imprima sa marque faite d’intelligence, d’exigence, de droiture, de sens éducatif. Vous tous ici présents avez avec elle des souvenirs précis ; de la grande sœur, de la cousine, de la tante, de l’éducatrice, de la religieuse, de l’enseignante. Elle ouvrit Saint-Alyre vers l’extérieur, collabora aux instances de l’Enseignement Catholique, opéra, le moment venu – elle était alors prieure de la communauté donc tutelle de l’établissement – le délicat passage vers une direction laïque. Elle fut gardienne de la tradition des ursulines ; non d’un immobilisme qui refuse tout changement ; elle était bien trop intelligente pour ne pas savoir que les changements qu’on n’a pas anticipés s’imposent à vous sans que vous les ayez choisis. Exigeante pour elle-même, elle pouvait l’être aussi pour les autres, attachée qu’elle était en tout au « plus parfait ». Très pudique – c’est la part auvergnate – sur sa vie spirituelle et sur sa foi, elle est restée jusqu’au bout fidèle aux exercices, à l’office, au chapelet, à la messe. Une part de son jardin secret, dont au hasard d’une conversation on percevait parfois un éclair, était la culture ; elle aimait les lettres, la poésie, l’expression écrite et orale où elle excellait.

Intelligence supérieure, immense culture, présence cordiale, femme de Dieu, « grande dame », belle personne : tels sont les qualificatifs couramment entendus par ses proches à l’occasion de son décès. Jusqu’à il y a deux ans, où elle entra dans la cécité, elle vivait de lectures et de broderie – un point de croix extraordinairement précis et fin. Tout cela lui fut enlevé ; elle entendait mal mais avec un appareillage et sa vivacité d’esprit, elle parvenait à interpréter ce qu’elle entendait et on pouvait un peu communiquer. Elle attendait nos visites, autant que possible bi-hebdomadaires, et nous remerciait avec effusion. A la Maison St Joseph, où elle a ce mardi 26 achevé son périple ici-bas, elle était très aimée : jamais elle n’a manifesté d’impatience ni de découragement ; tout ceux qui l’ont approchée, soignée, et que je remercie très sincèrement pour leur efficace délicatesse, étaient confondus de sa gentillesse et de la gratitude qu’elle exprimait constamment.

Nous y sommes passées avec Sr Marie-Bénédicte le jour de Noël : elle était alitée, et consciente ; elle nous a dit : « je suis très fatiguée, il faudrait bien que le Bon Dieu vienne me chercher. Je prie pour vous, priez pour moi ». Et le lendemain matin, Dieu exauçait celle qui avait revêtu comme identité religieuse le mystère de l’Incarnation.

Qu’elle repose maintenant auprès des siens et de tous ceux qu’elle a aimé. Que s’accomplisse pour elle la prophétie d’Isaïe – les aveugles voient, les sourds entendent, les morts ressuscitent – et qu’elle vive pleinement dans la communion de son Dieu et de tous les saints. Que depuis l’autre rive, elle veille comme devant sur chacun d’entre nous et sur le grande embarcation de Saint-Alyre qu’elle a tant aimée et qu’elle continue à aimer d’un amour plus fort que la mort.